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La perfection comme idéal à atteindre ? Mais quelle perfection ?

S’améliorer, ou viser la perfection ?… À l’heure où chacun doit apprendre à mieux s’alimenter, à travailler plus vite, à renforcer son psychisme, le perfectionnement est devenu le plus souvent la quête de la perfection.

S’il y a une sacrée différence entre perfectionnement et perfection, la société tente souvent de nous convaincre, et ce de manière pernicieuse, qu’il faut aller toujours plus haut, au-delà même de nos limites, afin d’atteindre la perfection. Bref, la recherche de la femme ou de l’homme parfait. Le perfectionnement, dans le sens que lui donnaient les Lumières au 18ème siècle (date à laquelle la Franc-Maçonnerie est née), est une exigence humaniste de base ; cet idéal implique un temps long, et une volonté de réforme permanente, de persévérance…

Et au 21ième siècle, qu’en est-il ? Notre société d’hyperconnexion est souvent une société de l’immédiateté qui semble avoir fait peu à peu glisser ces valeurs de base vers des valeurs qui caractérisent le perfectionnisme. Une série de routines, de conditionnements, de modes de vie qui nous poussent à mettre la barre toujours plus haut ou plutôt trop haut pour que nous puissions l’atteindre. Cette recherche constante est épuisante et frustrante car la perfectionniste n’est jamais satisfaite de ce qu’elle atteint.

Que ce soit dans sa vie privée ou professionnelle, la perfectionniste se définit au travers d’attitudes et de postures bien définies :

elle considère comme inacceptable tout ce qui n’atteint pas la perfection ;
parce que seule la perfection est acceptable, elle se fixe des objectifs irréalisables ;
parce que les objectifs irréalisables s’accumulent et provoquent déception sur déception, elle se dévalorise un peu plus à chaque échec.
Si notre désir de perfectionnement permet d’avancer, d’évoluer, de grandir, si le perfectionnisme peut être une qualité indispensable, il peut aussi devenir un handicap, une réelle souffrance lorsqu’il augmente exagérément les sentiments de culpabilité, la peur de l’échec, du jugement des autres, lorsqu’il empêche d’agir tant que tout n’est pas parfait, lorsque la qualité des performances devient plus importante que le chemin et le but, lorsque l’insatisfaction, les regrets et la pression sont permanents. Notre société nous renvoie des modèles et nous matraque avec ces idées toutes faites : comment faut-il faire pour être… un bon prof, une bonne mère, être dynamique, bonne cuisinière, jolie, séduisante, compétitive… Par le biais des émissions de télévision, des magazines ou des livres, elle nous donne les trucs et astuces pour le devenir. Ces recettes miracles nous conditionnent très souvent à acheter des biens de consommation qui donnent l’illusion de pouvoir atteindre cet idéal. Elles font croire à une utopie accessible, en réalité une société infantilisée dans laquelle on consommerait du bien-être comme n’importe quelle autre denrée.

Mais qu’en pensent les psychologues ? Ils ont montré que le perfectionnisme a plusieurs facettes, certaines adaptatives et même désirables ; d’autres plus problématiques. On parle de deux formes de perfectionnisme : comme Tal Ben Shahar (2011) l’évoque, on peut être perfectionniste ou optimaliste. La perfectionniste voit le parcours en ligne droite, elle a peur de l’échec, se concentre sur la destination, analyse en tout ou rien, a une attitude défensive, tatillonne, est dure avec elle et les autres, rigide, statique. L’optimaliste voit le parcours en spirale accidentée, elle apprend à partir de ses échecs, se concentre sur le parcours et la destination. Son approche est complexe et nuancée, elle est ouverte aux opinions extérieures ; indulgente, adaptable et dynamique. Elle est surtout capable d’accepter la réalité, avec ce qu’elle a de bon et de mauvais, d’agréable et de pénible et de prendre en considération sa propre nature. Si le désir de s’améliorer fait partie de la nature humaine et nous rend service en apportant le progrès aussi bien personnel que social, poussé à l’extrême, il fait plus de mal que de bien et est associé dans les études psychologiques à la dépression, l’épuisement professionnel, les sautes d’humeur, l’anxiété, les troubles alimentaires, les insomnies, etc.

De manière générale, viser l’optimalisme c’est commencer par prendre conscience et admettre ses limites. Et cela avant même de se consacrer à faire au mieux ce qu’il nous est possible de faire, puis décider de progresser. Ce déclic nécessite également d’apprendre à accepter ses erreurs et ses échecs. Il nous faut donc résister à cette habitude que nous avons souvent de nous juger trop sévèrement. Au contraire, il faut voir l’opportunité d’en tirer des enseignements qu’il nous faut accepter de mettre en œuvre pour progresser en essayant, encore et encore. Pour Charles Pépin, dans son livre « Les vertus de l’échec », rater rime avec liberté. C’est parce que nous sommes ratés, que nous sommes libres. Viser le perfectionnement plutôt que la perfection, c’est donc arrêter de viser un objectif inatteignable pour s’engager dans un processus itératif. Un cycle où chaque réussite, mais aussi chaque échec, est une étape vers le niveau suivant. Un échec nous prépare à tous les autres si nous l’acceptons.

Le perfectionnisme qui imprègne notre société est présent en Franc-Maçonnerie aussi. Optimaliste et positif quand il nous pousse à avancer, à nous dépasser, à nous améliorer mais négatif parfois, quand il empêche de prendre la parole de peur de dire une bêtise, de peur d’être jugée, quand il nous pousse dans le refus de l’attitude ludique, le manque de créativité. Négatif aussi quand il donne peut-être de nous l’image de femmes perfectionnistes, ce qui pourrait faire peur à certaines qui n’osent frapper à la porte du Temple alors qu’elles s’y épanouiraient. Bien entendu chacune de nous a en tête sa vision du profil idéal d’une Franc-Maçonne avec les valeurs et les pratiques qui le caractérisent. Nos valeurs de fraternité, de liberté, d’égalité, de sagesse, de beauté et de force. Même si ces valeurs ne changent pas, il faut y réfléchir autrement. Interroger ce qu’elles signifient et comment elles sont comprises, interprétées aujourd’hui en lien avec les femmes que nous sommes au 21ème siècle.

Comme la société évolue, la Franc-Maçonnerie doit elle aussi évoluer. Il ne s’agit plus d’être une bonne Franc-Maçonne comme on pouvait l’être au 20ème siècle mais une Franc-Maçonne d’aujourd’hui. La perfection comme idéal à atteindre ? Mais quelle perfection ? C’est la diversité des pierres du Temple qui en font la beauté. La perfection n’est ni unique, ni univoque et la beauté parfaite n’existe pas. Si l’on dit que la perfection n’est pas de ce monde, selon un proverbe coréen, « elle est un chemin, non une fin ». Notre chemin à toutes s’enrichit de la diversité que nous côtoyons ici et ailleurs. Il se nourrit de cette quête de perfection mais pas seulement. L’imperfection aussi fait notre richesse, notre diversité, notre beauté. Alors, osons un autre regard, osons oublier le « moi parfait », osons nos imperfections, osons nos différences et poursuivons notre chemin vers nos rêves et nos idéaux tout en gardant à l’esprit comme guide les valeurs qui nous rassemblent.

20180911-18

Sources bibliographiques

  • Tal Ben-Shahar, « L’apprentissage de l’imperfection », Belfond, 2010
  • M. W. Enns & B. J. Cox, “Perfectionism and Depression Symptom Severity in Major Depressive Disorder” , in Behavior Research and Therapy, 1999, vol. 37, p. 783-794.
  • Stéphanie Goron et al., « La dépression postnatale, un diagnostic spécifique ? Analyse des causes perçues par les mères en dépression postnatale et non postnatale : perspective qualitative » , Devenir 2017/4 (Vol. 29), p. 267-291.
  • Fabrice Midal, « Foutez-vous la paix – Pour ne plus avoir peur et honte de qui vous êtes », lettre, septembre 2017
  • Florent Schepens, « Introduction » , in Les soignants et la mort, ERES, « Clinique du travail », 2013, p. 7-11
  • Éric Delassus, « La personne et les éthiques du care » , Recherche en soins infirmiers 2017/3 (N° 130), p. 6-11.
  • Sylvie Fortin et Serge Maynard, « Progrès de la médecine, progrès technologiques et pratiques cliniques : les soignants se racontent », 2012
  • Ophélie Ostermann, « Charge mentale : « Le perfectionnisme domestique étouffe les femmes » » , 7 février 2018
  • Abdennour Bidar, « Le revenu universel est une utopie réaliste » , 9 juillet 2018
  • PsyMontréal, « Le perfectionnisme » , 17 juillet 2014
  • Boris Razon, « L’ère des machines invisibles », Philosophie magazine n°29, Pages 47-51
  • Thierry Geerts, « Digitalis ou la Belgique réinventée » , Le Vif n°22, 31/08/2018
  • Alexandre Lacroix, « Pour en finir avec l’infini », Philosophie magazine n°119
  • Cédric Enjalbert, « Toujours plus, mais pourquoi ? », Philosophie magazine n°119